Lors de la soirée sur le thème “s’enraciner” du parcours de form’action Cap 360°, les participants ont fait part de plusieurs questions qu’il serait dommage de ne pas partager avec le plus grand nombre. Voici donc la synthèse de ces échanges, avec les réponses d’Emmanuel Brochier, Maître de conférences à l’IPC Paris, Pierre-Yves Gomez et Tugdual Derville, tous deux co-initiateurs du Courant pour une écologie humaine, et Jean-Luc Moncorgé, Diététicien.
L’identification par les fruits est très intéressante. Mais qu’entend-ton par « fruits » à l’échelle d’une société ou d’un pays ?
Tugdual Derville : « Il y a dans nos racines un élément de vitalité intrinsèque, un élément de transformation. Nos racines ne cessent d’évoluer, de grandir et de nous apporter une énergie renouvelée. Les racines, loin de nous scléroser, nous mettent en marche. Nous sommes des êtres de mouvement et cela nous enracine.
La question des fruits est plus complexe. Il est intéressant de voir le rayonnement d’une nation : il révèle des éléments plus cachés de ses racines. Prenons la France, par exemple : elle a un vrai souci de la personne. Elle résiste plus que d’autres nations à la marchandisation du corps. Il me semble que cela provient d’une histoire culturelle, qui au-delà des siècles, a fait émerger une finesse intellectuelle qui ne chosifie pas l’être humain. Il y a donc, à mon avis, une correspondance entre les racines et les fruits au point même qu’on peut voir dans la ramure d’un arbre ses plus belles racines spirituelles ! »
Pierre-Yves Gomez : « Avant de se poser la question des fruits, restons bien sur la question des racines. Posons-nous la question : dans quoi nous enracinons-nous ? Qu’est-ce qui nous donne cette ressource, cette énergie, qui fait que nous sommes ce que nous sommes ? Car, dans ce parcours de form’action Cap 360°, nous allons développer d’autres dimensions qui vont nous conduire aux fruits. Ne cherchons pas tout de suite des liens entre les racines et les fruits.
Certaines racines sont visiblement des ressources : cela est très fort ! Qu’est-ce qui nous apporte ces ressources ? Où les trouvons-nous ? Ce sont les premières questions à se poser.
C’est une chose que l’on pourrait faire à chaque fois que nous rencontrons quelqu’un : découvrir ce que sont ses racines et où il puise les ressources qui l’animent.
Emmanuel Brochier : « Très souvent, nous sommes tentés d’identifier les choses aux racines. Or, si on file la métaphore, on réalise que les choses ne sont pas d’abord identifiées à leurs racines. C’est pourquoi j’ai évoqué l’idée du fruit. Les racines ont comme fonction de nourrir et de donner à l’Homme une certaine stabilité, comme c’est le cas pour une plante ou un arbre. »
Quelles sont les 5 vertus épistémiques ?
Emmanuel Brochier : « On peut parler de l’impartialité, de la sobriété, du courage, de la pertinence et de l’équilibre réfléchi. C’était les 5 vertus épistémiques évoquées dans la vidéo. Ces dispositions ont pour fonction de donner une stabilité à l’Homme et de nourrir son intelligence. C’est l’objectif des épistémologues qui travaillent sur cette question.
L’impartialité, c’est l’idée qu’on ne peut pas prendre un parti pris d’emblée ; il faut regarder avant de juger, avant de prendre position, avant d’évaluer ce qu’on entend. Il s’agit de juger toutes les parties, de façon à être impartial. Cela donne une garantie de crédibilité aux idées que l’on défend. De fait, lorsqu’on prend parti, on a très vite la volonté d’avoir raison et ça peut finir par devenir aveuglant.
La sobriété, c’est une sorte de modération qui vient parfois du fait que nous sommes tentés d’adhérer à certaines idées simplement parce qu’elles nous plaisent. On peut trouver cela normal de prime abord, mais il y a parfois un risque d’être trompé par ses inclinations. La modération, c’est le souci d’apporter des raisons, lorsque c’est possible, ou, tout au moins, d’évaluer les choses à partir du bon sens, quand il s’agit d’une chose qui ne se démontre pas.
Le courage intellectuel est une disposition très importante. C’est grâce à elle que l’on est capable de défendre ses idées, même quand le contexte ne nous y aide pas.
La pertinence intellectuelle : savoir tirer profit, savoir se nourrir de toute chose, de tout discours, de toute thèse. Car parfois, dans les thèses-mêmes que nous combattons, il y a des pépites.
Enfin, l’équilibre réfléchi consiste à ne pas chercher à se limiter une méthodologie scientifique là où il faudrait procéder autrement ; il s’agit d’adapter les moyens, les méthodologies, à ce que l’on cherche à comprendre.
Réflexion sur le thème « grandir »
Thierry, participant : « Pierre-Yves Gomez parle de grandir en humanité. Jean Vannier parle de grandir en amour. Ce thème de grandir est pour moi très important parce que c’est à la fois un but et un chemin. Grandir, c’est aussi devenir libre : quand on est grand, au lieu de subir, on agit. Grandir, c’est une question qui se pose tout le temps, à tout âge. Grandir, c’est une façon d’aller soit vers Dieu, pour les croyants, soit vers soi. A travers cette form’action, le Courant pour une écologie humaine nous aide à voir les choses d’une façon qui n’est pas superficielle et en cela nous aide à grandir. »
E.B. : « En ce qui concerne la croissance, il est important de se poser quelques questions : grandir vers quoi ? Grandir pourquoi ? Le fruit permet la semence en vue d’une reproduction de l’arbre. Autrement dit, à travers la notion de fruit, c’est la notion de fécondité qui apparaît. Les racines qui nous nourrissent et nous font grandir existent en vue d’une certaine fécondité. C’est cela qu’il faut arriver à identifier dans une vie humaine, dans une civilisation, dans un pays : quelle est la fécondité ? On voit bien que, pour un arbre, la fécondité est la capacité à donner à un autre le meilleur de soi-même. Je ne sais pas quelle est la fécondité d’un pays précisément, mais sur le principe, c’est l’idée de pouvoir donner, quand on est Homme, quand on est peuple, à d’autres, le meilleur de soi-même. Grandir pour pouvoir donner le meilleur de soi-même. »
T.D. : « Grandir, c’est aussi parfois diminuer. Je trouve intéressant de regarder en nos racines non seulement ce que l’on a reçu par notre histoire, nos enracinements géographiques, les lieux de notre ressourcement mais également ce que l’on a de cassé, de vulnérable, d’abîmé ; nos échecs. Je pense que dans nos racines, il y a beaucoup de choses de l’ordre de l’humiliation – qui vont pouvoir donner une fécondité – mais aussi expliquent certaines de nos attitudes, de nos ressorts, de nos capacités à croître. A l’instar de l’iceberg qui est posé sur une partie invisible, souterraine et ténébreuse, il me semble que nous aurions avantage à examiner ce qu’il y a de noir dans nos racines et qui nous aide peut-être, bien davantage que nous ne pourrions l’imaginer, à devenir ce que nous sommes et à nous humaniser. »
Comment nous ressourcer quand la famille nous empêche d’avancer ? La case famille est-elle obligatoire pour nous enraciner ?
PY. G. : « Les racines ne nous arrêtent pas. Les racines ne nous rassurent pas. Très souvent, on se dit qu’il faut que l’on retrouve nos racines. Comme les racines chrétiennes de l’Europe, par exemple. Or, il ne s’agit de retrouver ses racines, il s’agit de se nourrir de ses racines. Les racines, c’est ce qui nous alimente et s’il faut les retrouver, c’est toujours en se demandant en quoi elles nous ressourcent. Ainsi, évidemment, la racine « famille » n’est pas obligatoire, elle est source de vie. En quoi est-elle source de vie ? Toujours bien se poser la question : qu’est-ce qui, à partir de cette racine, me rend plus moi-même, me fait grandir ?
Quand l’autruche met sa tête dans le sable, elle ne s’enracine pas, elle se cache. S’enraciner n’est pas s’immobiliser. S’enraciner, c’est pour du « plus », parce que l’on découvre comment la sève passe par nos racines. »
T.D. : « Nous ne sommes pas des arbres et nous ne sommes donc pas condamnés à rester là où nous sommes plantés. Je nous vois plus comme des oiseaux : les oiseaux quittent le nid. Il semblerait d’ailleurs qu’ils souffrent de le quitter : ils perdent beaucoup de poids à cet instant de leur existence. Mais en parallèle, ils gagnent en liberté. Dans notre enracinement, il y a également une dynamique de libération, qui me permet de m’enraciner dans ce à quoi je suis appelé. Je pense à l’histoire de François d’Assise qui laisse son manteau dans le bras de son père drapier et part, nu, pour s’enraciner dans cet appel qu’il a ressenti pour la frugalité. Il part, tout en assumant cette condition sociale qui lui fait faire ce choix de rupture et lui permet de devenir lui-même.
Assumons qu’il y ait une libération consciente, assumée, des avanies familiales. Nous avons le droit de récuser certaines choses qui, ce faisant, ne nous empoisonnent plus. »
PY. G. : « Comme il y a des branches mortes, il faut accepter de considérer qu’il y a des racines mortes. Certaines racines ne sont plus que des souches mortes. Tout ce qui est passé n’est pas nécessairement racine. »
E.B. : « Pour montrer que les difficultés ne sont pas un obstacle à la croissance, on peut citer quelques études réalisées autour de la résilience. Et notamment des études faites sur des populations d’étudiants du Rwanda, qui ont connu des atrocités, de Roumanie, du Québec ou de France. Et on a pu constater que c’est en France qu’il y a le taux de résilience le plus faible. La résilience, c’est la capacité à surmonter un échec. Certaines personnes qui ont vécu des choses difficiles ont cette capacité à se relever et d’autres, qui ont peut-être été moins habitués à vivre des chocs, ont moins cette capacité à rebondir. Ces études en psychologie ont montré qu’en aucun cas, ces choses noires que nous avons évoquées ne sont un obstacle à la croissance. »
Le travail d’activation des 5 sens dans la nature peut aider des migrants à s’enraciner, mais cela suffit-il ? Faut-il sortir de sa communauté, perdre ses traditions ? Y a-t-il dans chaque homme des ressources qui lui permettent de dépasser ses racines culturelles pour s’enraciner dans un nouveau milieu étranger à son milieu naturel ?
PY. G. : « Il y a une racine extrêmement importante, c’est celle du travail. Quand j’arrive dans un pays, il faudrait que je puisse m’enraciner dans un travail qui a déjà été effectué depuis des décennies, qui demande un tour de main, une organisation spécifique. C’est un élément d’intégration très fort parce qu’en travaillant, on touche à une activité et également à un savoir-faire, à un être ensemble, qui a déjà une histoire. A travers le travail, on entre dans une histoire. »
Peut-on parler de nutrition ?
Jean-Luc Moncorgé : « La nutrition est une science. Elle va étudier des aspects de notre alimentation spécifiquement. Ce qui est bon, ce qui est sain pour notre corps, c’est essentiellement des aliments simples, ceux qui ne sont pas trop chargés, pas trop transformés par l’agroalimentaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut se remettre à ne manger que du cru ! »