Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement une « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui la suite de son texte sur le « réenchantement du monde », le complétant de deux nouvelles pistes, ainsi que d’un piège à éviter.
Piste n° 5
Stéphane : « C’est le silence… alors arrive la présence »
“Les lumières, les couleurs, les odeurs… tout est d’une grande beauté dans la forêt, ce matin.
Mes yeux voient cette beauté et pourtant, je suis agité, tourmenté. Mon esprit ressasse des pensées, une sorte de ronde de ressentiments, d’attentes, de projections.
Une ronde qui me donne la nausée.
J’ai l’impression d’être en prison à l’intérieur de moi, alors que je me trouve au beau milieu de cette merveilleuse forêt.
Elle est belle mais plate, muette, vide… comme un décor de cinéma, une carte postale.
J’avais pris mon sac à dos, j’avais à la main mon bâton, aux pieds mes chaussures de marche mais j’avais oublié l’essentiel : le lien.
Le lien, c’est ce qui se tisse entre moi et ce qui m’entoure.
Le langage de ce lien est mon ressenti.
Ce lien me demande de renoncer aux dialogues intérieurs, aux scènes mentales. Il faut lâcher mes scénarios entêtants et répétitifs.
C’est un réel et difficile renoncement car, même si ces scénarios m’étouffent, ils constituent les contours de mon identité, de ce que je crois être, ils sont comme mon moi.
Renoncer à cela passe par une sorte de néant.
C’est le silence.
Alors arrive la présence.
Elle est un état d’être reposant sur mes sensations, là, maintenant, au milieu de cette forêt, parmi ces arbres.
Je me remplis de quelque chose qui me vide, qui fait de la place pour autre chose.
La présence est un espace de rencontre.
Le monde autour de moi se dilate car je lui donne la parole.
Non, rien n’est muet, c’est moi qui était sourd, c’est tout.
La présence donne naissances aux liens et ces liens sont des dialogues de sensations.
Tout ce qui est vibre, et entrer en relation avec ce qui vibre crée une sensation.
Et, mon Dieu, ce que raconte cette forêt… !
Je croyais la traverser mais maintenant, je ne sais plus qui traverse qui !
Bien plus que les mots, c’est le sourire que j’ai qui parle le mieux du profond bonheur qui m’envahit.
Je prends refuge dans ce monde et ma poitrine est immense.
Quelque chose en moi se nourrit de ce lien, chaque respiration est un festin et la gratitude que je ressens est de l’amour pour la forêt et aussi pour moi car maintenant nous sommes liés !
Bien sûr, je vais retourner chez moi, je vais retrouver mes scénarii, mes enjeux, mes projections mais je n’ai pas oublié que derrière le voile si fin de mes pensées se trouve un monde enchanté.
Il est enchanté parce qu’il est gorgé d’amour.
Il est gorgé d’amour parce qu’il sait que c’est l’amour qui fait évoluer les consciences.”
Piste n°6
Claude : « Je vois un monde non séparé »
“Je vois un monde non séparé où humains, animaux et plantes forment et habitent une maison commune :
- Cheminons le long du ruisseau qui fait la grande rivière. Sur son passage, l’eau dissout les sels de la roche, les transporte et enrichit la mer : c’est l’environnement minéral.
- Dans le milieu végétal, cet effet amplificateur et cette belle opulence, nous la retrouvons chez l’arbre : une racine donne un tronc, le tronc des branches, les branchent des feuilles, des fleurs, des fruits… qui se donnent à leur tour.
- Parmi les sociétés animales, approchons la fourmi qui bâtit sa fourmilière, c’est-à-dire sa « cathédrale », brindille après brindille. Derrière une fourmi qui lâcherait sa brindille, une autre fourmi suit, qui va la récupérer.
- Chez l’homme, globules rouges et blancs, capillaires, artères et veines, cœur constituent une merveille d’architecture ramifiée, irriguante et nourricière !
- Enfin le spectacle du ciel, foisonnement d’étoiles, planètes et satellites de l’univers en extension nous invite à écouter Lao Tseu :
Le Tao engendre l’Un
L’Un engendre le Deux
Le Deux engendre le Trois
Le Trois engendre les Dix mille êtres.”
Piège n°3 : « Se laisser envahir par le banal, c’est fatal »
Le banal ronronne ou vrombit parfois autour de nous comme mouches fatiguées un soir d’été :
– ah, ces murs qui me cachent le soleil !
– le ciel est monotone, comme lui, pauvre est mon cœur
– les lapins feront toujours plus de petits, la terre sera invivable
– les saisons ne font que tourner en rond
– les riches ne font que s’enrichir
– ils sont tous les mêmes
Alors, si vous êtes en proie à la tentation de « l’à-quoi-bon ? », il est encore temps de relire nos amis Stéphane et Claude.