Tranquille, la Zygène de la filipendule

3 Août, 2021 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Ce papillon aux couleurs voyantes vole si lourdement qu’on peut le saisir sans peine. Serait-ce une erreur de la nature ? Nenni : c’est fait exprès. Prédateur et proie potentielle s’arrangent ainsi.

Dans les prairies fleuries du printemps, vous trouverez en plein jour un petit papillon étrange qui est fait pour ne PAS passer inaperçu. À la différence des autres lépidoptères diurnes, au lieu de joindre les ailes verticalement quand il ne vole pas, ce papillon en fait un toit qui recouvre son corps. Le bout de ses antennes est massif, d’où le nom de son genre zygène, dérivé d’un mot latin-grec signifiant marteau. Originale, sa livrée combine un bleu-vert sombre et métallique à du rouge vif. Des ailes postérieures toutes rouges pour un papillon, passe encore : elles sont cachées quand il est au repos. Mais pourquoi ces points rouges sur les ailes antérieures qui attirent l’œil quand la zygène butine ? Parce qu’elle VEUT être vue ! Pour ce genre de petite bêtes, le rouge fonctionne comme celui qu’on met le long des routes pour alerter d’un danger. Destiné aux prédateurs insectivores, oiseaux et lézards, il leur signale que la zygène est toxique. Quand elle est capturée, elle émet en effet une substance comprenant du curare. La foule des insectivores semble s’être passé le mot au fil des siècles. Rebuté par son rouge, on épargne le papillon. Celui-ci peut divaguer sans crainte, d’où son caractère nonchalant, son vol lourd, sa vie tranquille. Quand les autres papillons s’affolent, vous pouvez rattraper une zygène à la course voire l’attraper à la main sans difficulté. 

La plus commune des zygènes de nos prairies est la Zygène de la filipendule. Nom curieux dont certains entomologistes se désolent car l’espèce n’est pas vraiment inféodée à la spirée filipendule mais à plusieurs autres plantes communes comme le trèfle. Avouez que Zygène de la filipendule est pourtant un nom élégant, qui pose son papillon !

La stratégie de protection dissuasive par le rouge voyant est adoptée par nombre d’insectes, certaines grenouilles exotiques et même des plantes. Exact opposée du camouflage, ce système de défense se nomme aposématisme. Le sujet émet un signal éclatant pour informer un éventuel prédateur : non comestible ! pas touche ! Chacun y trouve son compte. L’aposématisme sauve les deux vies.

Des coccinelles et des punaises fonctionnent ainsi : leur couleur rouge signale qu’elles sont capables, en cas de menace, d’exsuder pour les premières ou de projeter pour les secondes, une substance toxique. 

Quelques espèces de prédateurs – comme le merle – peuvent contourner l’obstacle en avalant la bestiole avant qu’elle n’ait eu le temps de produire son poison ; d’autres ont développé des antidotes. Indispensable quand une espèce d’insecte est imbibée par le poison d’une plante toxique dont sa larve s’est nourrie ! Certains prédateurs – on a peine à le croire – sont même capables d’avaler une proie aposématique puis de vomir le poison dont elle est gorgée ! C’est le cas de l’Oriole, un passereau américain orangé qui, grâce à ce stratagème, est l’un des rares prédateurs du célèbre monarque, papillon aux couleurs flamboyantes avertisseuses des alcaloïdes qu’il contient.

Tout cela vous étonne peut-être, mais nous autres humains partageons avec les bêtes ce code d’alerte rouge vif, issu de notre psycho-évolution et de notre sang. Sa couleur nous alerte. Quand le poison de la colère monte au visage, celui qui en est témoin sait qu’il vaut mieux passer son chemin. Ce rouge-là évite bien des affrontements.


 Cet article est tiré de la Chronique Des Animaux et des Hommes (24/02/2021), produite et diffusée sur ktotv.

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