Gérard Langlois Meurinne*, psychiatre et psychothérapeute et membre du Courant pour une écologie humaine, propose une réflexion mensuelle sur l’écologie humaine, intitulée “chronique du Mycelium”**. La chronique ci-dessous est la toute première d’une longue série.
” Tout le monde rêve d’un monde meilleur, parfois secrètement et sans trop y croire. Un monde plus fraternel, plus juste, un monde plus solidaire, au fond un monde favorable à la dignité et la croissance de chacun, en un mot un monde plus « humanisé ».
Il y a quelque temps, je me suis à nouveau interrogé : « Quel sens a ce souhait d’un monde meilleur ? ». Essayer de me le représenter me donne parfois la sensation qu’il s’agit d’une utopie ou d’une abstraction. Bien sûr, je crois que des mondes relativement « meilleurs » ont pris forme sur terre à certaines époques et dans certains lieux. Et aujourd’hui, il existe également des « oasis d’humanité » ici ou là qui nous font goûter à ce monde meilleur.
Et puis j’ai été amené plus loin : ce « monde meilleur », je l’ai alors perçu comme une réalité au fond de moi, et qui, j’en suis persuadé, est au fond de chacun de nous. Nous le portons dans nos aspirations et dans nos intuitions de ce qui est bon pour l’être humain.
Ce n’est donc pas une utopie qui serait « toujours plus loin » et après laquelle nous courrions sans jamais l’atteindre. C’est un monde possible, mais à une condition : garder notre foi de fond en l’homme, cette foi que j’appelle notre “credo humaniste”. Ce n’est pas évident pour tous tant notre époque a vécu de déceptions et peut être rongée par des doutes.
Du coup, j’insiste aujourd’hui sur ce mot de « réalité » qui a sa source en nous. Réalité d’abord intérieure. Nous avons dans un premier temps à l’écouter, la prendre au sérieux, puis à sentir et discerner sur quel chemin elle nous amène, enfin à oser lui donner chair. Chemin qui ne peut rester solitaire et qui se nourrit des autres. Notre monde est un monde “commun” et nous avons à le construire et le reconstruire tous les jours. Vu comme cela, ce monde envisageable qui tend vers du meilleur me devient présent et tangible. Depuis l’intérieur il demande à prendre corps à l’extérieur.
Je le sens alors comme en marche, en chantier, en création permanente. Et d’autre part je sens que tous les êtres humains sans exception sont concernés, comme bénéficiaires mais aussi comme contributeurs pour le faire advenir. Chacun peut mettre un peu ou beaucoup la main à la pâte. Ainsi chaque geste, chaque parole compte et aucune des « gouttes d’eau » que sont tous les gestes d’humanité ne sont perdues.
SAINT AUGUSTIN, GANDHI, PIERRE RABHI
Voilà trois hommes appartenant à trois époques, trois cultures et trois pays bien différents. Et pourtant, ils se rejoignent dans leur vision universelle du changement collectif partant du changement individuel, autrement dit de la voie à suivre pour aller vers un monde meilleur.
- Saint Augustin aimait dire : « Vous vous plaignez et dites souvent que le monde est mauvais. Soyez bon et le monde sera bon ! ».
- Gandhi a influencé quantité de personnes en proposant : « Soyez vous-même le changement que vous souhaitez pour le monde ! ».
- Pierre Rabhi, quant à lui, a popularisé la légende amérindienne du colibri : « Un jour il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés observaient impuissants. Mais le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !” Et le colibri lui répondit : “Je le sais, mais je fais ma part.”
Ces trois hommes disent au fond la même chose : le monde ne changera pas si nous ne changeons pas nous-mêmes et il peut changer à partir du moment où nous nous mobilisons « personnellement ». C’est une première évidence qui cache un autre message important.
Cet autre message contient quelque chose de plus inattendu et de très profond. C’est comme si le colibri avait plusieurs secrets à nous livrer :
- Premier secret, pas évident mais assez clair : « je fais ma part, c’est cela mon boulot, c’est cela ma mission. Je la fais quoi qu’il arrive, même si les autres ne la font pas ou pas assez, même si certains se moquent de moi. Je ne les attends pas pour faire ma part ».
- Deuxième secret, plus surprenant car il est question de bonheur dans la difficulté, voire dans l’adversité : « je suis heureux de faire ma part… quoi qu’il arrive… et je n’attends pas le résultat pour être heureux ».
Pour moi, Saint Augustin ne dit pas autre chose et son invitation nous suggère fortement : « le monde devient déjà bon… en toi et autour de toi dès que tu deviens bon ».
Mais sommes-nous prêts à accueillir les secrets du colibri, sans réserves, sans résistances ?
Attention, il ne s’agit pas de prôner l’individualisme, ou la rêverie ou l’inaction dans l’engagement, mais de nous inciter chacun à revenir puiser à notre source intérieure de mobilisation : tout engagement collectif passe par des personnes qui ont osé « rêver », devenir plus conscientes de leurs aspirations, franchir un pas et faire leur part. C’est d’ailleurs dans cette mesure qu’elles en rejoindront ou en entraîneront d’autres.
Cela me ramène à ma sensation d’un « monde meilleur » : en fait, le monde meilleur est « déjà là » en nous, dans notre monde intérieur, à notre portée, et devient invitation à agir en même temps toute personnelle et universelle. Le sentons-nous ? Y croyons-nous ? Qu’en ferons-nous ? Aurons-nous l’audace et l’humilité du colibri ? ”
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*Gérard Langlois-Meurinne
Devenu sur le tard psychiatre et psychothérapeute, Gérard Langlois-Meurinne accompagne aujourd’hui des personnes sur leur chemin de croissance personnelle. Cela peut inclure le déploiement de leur fécondité sociétale auquel il est très attentif. Il participe avec bonheur à la vie du Courant pour une Ecologie Humaine qu’il voit comme un réseau prometteur d’humanisation de la société.
Pourquoi cette « Chronique du Mycelium** » ?
Rappelez-vous, vous qui avez sans doute lu “Le temps de l’homme” de Tugdual Derville paru en 2016, Peut-être avez-vous été réceptif à cette image du mycelium, partie invisible et souterraine du champignon, qui survit longtemps quand ce qui est visible a disparu, mais aussi partie qui interagit avec les autres plantes et le sol, qui le régénère, le nourrit, le rend plus fertile. Pour Tugdual, les « acteurs du mycelium » sont dans notre société des porteurs de sens, des faiseurs d’une culture de vie, pas toujours visibles ni reconnus mais qui font leur part et fécondent un terreau d’avenir. Ils agissent « ensemble et reliés les uns aux autres.
Cette chronique offrira quelques réflexions, observations ou invitations à partager entre nous pour entretenir la flamme et éclairer notre vision. Ce sera aussi l’occasion de faire le lien avec d’autres acteurs dans notre société que je vois comme marcheurs en humanité. Chronique d’un temps actuel, souvent inquiétant, temps de changement, voire de mutation : mais aussi temps d’opportunité pour se lever, dire et construire un avenir sans se le laisser dicter.